VIII
Une trêve

L’île principale de l’archipel Levu était plus proche que ne l’avait cru Bolitho ; la traversée au départ de Sydney dura vingt-six jours seulement. Pendant les premières heures passées au mouillage dans la petite baie en forme de champignon, l’équipe du Tempest n’avait pas manqué de travail. Il avait d’abord fallu choisir un bon mouillage, avec un cercle d’évitement suffisant ; il fallait aussi empêcher la frégate de chasser sur ses ancres en cas de coup de vent. Et enfin les manœuvres furent perturbées par un rassemblement d’embarcations locales venues de toutes les îles avoisinantes.

Ces insulaires ne ressemblaient pas à ceux rencontrés auparavant par le Tempest. Leur peau était plus claire, ils avaient le nez plus plat et le corps moins marqué par des tatouages hideux et des scarifications rituelles. Les jeunes filles, qui se pressaient dans les pirogues ou nageaient autour de l’étrave de la frégate glissant vers son mouillage, suscitaient force commentaires de la part des marins ; et elles étaient parfaitement conscientes de l’effet qu’elles produisaient sur eux.

Scollay, le capitaine d’armes, fit remarquer avec aigreur :

— Vous verrez qu’il y aura des problèmes avec ça !

Cependant, il n’était pas le dernier à adresser des signes et des sourires aux plus jolies des indigènes. Aussitôt que l’ancre eut croché, Herrick monta sur la dunette pour présenter son rapport à Bolitho qui balayait de sa longue-vue l’Eurotas à l’ancre, le rivage et la plage d’une blancheur éclatante.

Un faible ressac venait mourir sur le sable fin ; des arbres luxuriants ombrageaient la rive de leurs palmes, jusqu’au bord de l’eau turquoise. Plus loin, légèrement voilé par la brume ou un nuage bas, le point culminant de l’île brillait comme de l’ardoise polie, surplombant collines verdoyantes et forêt, telle une pyramide idéale. Un vrai paradis.

Sans doute ne fallait-il pas chercher ailleurs la cause de la mutinerie à bord de la Bounty. Comme tout cela était différent des bouges et des ports habituellement fréquentés par les marins ! Des indigènes chaleureux, amicaux et hospitaliers, une nourriture abondante. On se serait cru à mi-chemin du ciel.

Il fixa sa longue-vue sur le comptoir. Ce spectacle-là était singulièrement moins agréable. Herrick étudiait lui aussi la robuste palissade en bois, les casemates et, à l’intérieur de l’enceinte, le bâtiment principal sur lequel flottait un pavillon. Certains affirmaient que l’on trouvait des bâtiments analogues dans tout le Pacifique, aux Indes tant orientales qu’occidentales et même, plus au nord, jusqu’en Chine.

— Bien situé !

C’était tout ce que Herrick avait trouvé à dire. Il pensait certainement à la même chose que Bolitho : il s’imaginait Viola vivant, avec sa servante pour seule compagne, à la frontière mystérieuse du monde connu, dans cet avant-poste voué au service du commerce et de l’Empire.

Une petite goélette était accostée le long d’une jetée instable, ainsi que plusieurs longues pirogues. Elle devait servir de navette entre les îles. Elle avait l’air minuscule à côté du Tempest et de l’Eurotas.

Keen apparut, inquiet. Il salua :

— Qu’est-ce que je dois faire avec ces indigènes, commandant ? Ils veulent tous monter à bord en même temps. Ils vont nous envahir !

Herrick jeta un coup d’œil à Bolitho et dit, impassible :

— Laissez-les monter par petits groupes, monsieur Keen. Mais qu’ils n’aillent pas fourrer leur nez partout, surtout en bas. Et veillez à ce qu’ils n’apportent pas de boisson locale à bord.

Il sourit. Keen, c’était évident, n’en menait pas large :

— Surtout, ouvrez l’œil sur nos gars. Souvenez-vous qu’ils n’ont pas vu de jolie fille depuis fort longtemps !

Les premiers indigènes se précipitèrent. En quelques minutes, le pont fut jonché de vêtements de couleurs vives et d’un amoncellement de fruits et de noix de coco ; à la grande surprise de Keen, il y avait même un petit cochon qui couinait.

Bolitho avait le sentiment de surveiller une cour de récréation ; certains marins essayaient de briser la barrière du langage avec les filles aux longs cheveux noirs, à peine vêtues, que la vue des couteaux et des tatouages faisait glousser ; elles les touchaient au milieu des cris et des rires irrépressibles.

Lakey se montrait renfrogné. Personne ne prêtait l’oreille à ses sinistres prédictions.

— Combien de temps avant qu’ils ne saccagent tout, je vous le demande !

Il n’était pas facile d’obliger les visiteurs à céder la place aux groupes suivants ; comme les appels de Keen restaient sans grand effet, plusieurs marins vinrent à son secours en soulevant des filles à bras-le-corps pour les jeter à l’eau ; les jolies indigènes plongeaient et remontaient à la surface comme des sirènes. Bolitho dit enfin :

— Il est temps que j’aille à terre, Thomas. Nommez les hommes de quart de mouillage et faites mettre à l’eau une chaloupe de garde ; tout à l’air tranquille, mais…

Herrick acquiesça :

— A vos ordres, commandant. Mais pourquoi faut-il toujours qu’il y ait un « mais » ?

Il suivit Bolitho dans la descente, puis jusqu’à la cabine où Noddall et Allday, devant les fenêtres d’étambot, s’amusaient à adresser des signes aux filles qui nageaient sous l’arcasse. Bolitho ajouta :

— Il faudra que M. Bynoe se rende à terre pour s’approvisionner en fruits et autres produits frais.

Herrick était du même avis.

— Je ferai aussi escorter le commissaire aux vivres. Ne vous inquiétez pas, commandant.

Il se demandait comment Bolitho s’y prenait pour avoir toujours le souci des moindres détails, même quand il avait l’esprit et le cœur ailleurs.

— Et M. Toby, je suis à peu près sûr qu’en tant que charpentier, il se fera un devoir d’aller chercher le bois nécessaire à sa réserve.

Herrick répondit calmement :

— Je me souviendrai de tout, commandant.

Il attendit que Bolitho se fût tourné vers lui pour ajouter :

— Allez à terre vous occuper de vos affaires, commandant. À votre retour, vous trouverez un bateau bien tenu.

Il hésita, espérant qu’il n’était pas allé trop loin au nom de leur amitié :

— Je veux dire que je suis avec vous, commandant.

Bolitho prit son bicorne et répondit simplement :

— Je n’en ai jamais douté, Thomas.

Puis, plus sévèrement :

— Allday, dès que vous pourrez vous arracher à ce spectacle indécent et à vos rêves libidineux, je vous saurai gré de me faire conduire à terre !

Allday ne fit qu’un bond vers la porte, l’air irréprochable :

— A l’instant, commandant ! Tout de suite, commandant !

Seul avec Herrick, Bolitho ajouta :

— Le Narval…

— Oui, commandant.

Herrick attendit, sachant bien que le français préoccupait Bolitho. Ils l’avaient aperçu à plusieurs reprises, juste un petit trait argenté à l’horizon ; toujours là, tel un chasseur à l’affût.

— Il ne mouillera pas ici, dit Bolitho, mais dès que je saurai ce qu’on attend de nous, j’aimerais me renseigner sur ses allées et venues.

Herrick haussa les épaules :

— Selon certains, ce ne serait que justice si de Barras mettait le grappin sur Tuke avant nous, commandant, mais je pense que nous sommes trop indulgents pour les pirates de son espèce.

Bolitho le regarda, l’air grave :

— Je sais que, pour de Barras, la pendaison est une mort trop douce. Mais avez-vous pensé au revers de la médaille, Thomas ?

Il fronça les sourcils, observant Herrick de ses yeux gris :

— Tuke a peut-être des vues sur le Narval…

Il s’avança jusqu’au carré de soleil sous l’écoutille et ajouta :

— L'Eurotas a failli être pris par des pirates et Tuke a maintenant assez de grosses pièces d’artillerie. C’est une menace avec laquelle il faut compter.

Herrick, qui avait du mal à suivre Bolitho, restait suspendu à ses paroles. Une mutinerie à bord d’un navire de Sa Majesté était déjà une catastrophe, mais il ne pouvait se faire à l’idée qu’un vulgaire pirate pût attaquer et capturer un vaisseau de guerre. Il dit à contrecœur :

— Bien sûr, le Narval est un bateau français.

Bolitho lui sourit :

— Et cela allège votre conscience ?

— Oui, commandant, un peu, répondit Herrick, gêné.

Il y avait de plus en plus de fruits sur le pont de batterie ; les haubans et les passavants étaient festonnés de nattes tressées, de tuniques étranges, de fines banderoles peinturlurées de couleurs vives.

— Que dirait l’amiral de tout cela ? demanda Herrick.

Bolitho s’avança à la coupée et nota que son arrivée suscitait un vif intérêt. Plusieurs filles l’entourèrent et essayèrent de lui passer des colliers autour du cou ; d’autres, extasiées, touchaient ses galons. Un vieil homme, dodelinant de la tête, répétait comme un perroquet :

— Ca-pi-tain’ Cook !

Cook était sûrement passé par là, à moins que le vieil homme n’eût entendu ailleurs parler de ses bateaux, de ses marins au caractère brutal, vêtus de catogans, qui n’ouvraient la bouche que pour jurer et vivaient de rhum et de tabac. Ces légendes pouvaient se transmettre sur des distances considérables à travers ces archipels immenses, dispersés sur l’océan.

Bolitho entendit Allday crier à l’équipage de sa guigue :

— Il y a ici quelques belles filles qui feraient mon affaire, les gars. Pour sûr !

Bolitho descendit dans l’embarcation, accompagné par des éclats de rire et des volées de lazzi qui ne faisaient qu’amplifier la bonne humeur et les rires en cascade des spectateurs.

Jusqu’à la petite jetée, ils furent entourés de jeunes filles et de jeunes gens qui les escortaient à la nage et tripotaient les avirons ; Allday en perdait le rythme ; ses placides menaces restaient sans effet. Bolitho se sentit rassuré lorsqu’ils se retrouvèrent à terre, sains et saufs.

Il s’arrêta un instant au soleil et huma les multiples senteurs de broussailles, de palmiers, de feu de bois et de poisson séché.

— Tout cela m’a l’air bien précaire, commandant, dit Allday en avisant la palissade de bois qui entourait le comptoir.

Bolitho redressa la garde de son épée et s’avança vers les hommes en uniforme. Manifestement, la milice se trouvait là pour l’escorter.

Vus de près, leurs uniformes rouges à revers jaunes étaient élimés et rapiécés. Ces hommes étaient hâlés et, pensa-t-il, aussi durs que des clous en fer forgé. À leur façon, c’étaient des aventuriers, comme les soldats de la Nouvelle-Galles du Sud. Ils renâclaient souvent devant la discipline rigoureuse de l’armée ou de la marine, mais ils n’avaient pas le niveau d’intelligence ou de formation qui leur aurait permis d’être pleinement autonomes.

L’un d’eux, dont les cheveux hirsutes dépassaient sous son shako délabré, salua avec son sabre, dans un style qui eût fait défaillir le sergent Quare.

— Vous êtes le bienvenu, commandant ! dit-il avec un sourire carnassier. Je dois vous conduire au chef, M. Hardacre. Nous avons regardé l’approche de vos bateaux pendant toute la journée. Un beau spectacle, je peux vous le dire, commandant !

Il emboîta le pas à Bolitho, les autres traînaient derrière. Pendant le court trajet jusqu’au comptoir, il eut le temps d’expliquer à Bolitho que Hardacre l’avait construit avec très peu d’aide et qu’il était unanimement respecté par les indigènes à des kilomètres à la ronde. Il n’en fallut pas davantage à Bolitho pour être sûr que Hardacre et Raymond ne s’entendraient guère.

La milice, recrutée essentiellement à Sydney, avait vu son effectif diminuer régulièrement depuis deux ans ; elle se réduisait désormais à trente hommes et deux officiers. Le reste avait déserté et quitté l’île dans des embarcations indigènes ou quelque goélette de négoce, pour rejoindre des tribus locales et jouir d’une vie tranquille, au milieu de nombreuses femmes, et profiter d’une nourriture saine, abondante et variée. D’autres encore avaient disparu sans laisser de trace.

Le lieutenant, fort disert, s’appelait Finney ; il lui confia avec un sourire féroce :

— Je suis venu faire fortune, mais je n’ai rien en vue pour l’instant.

Devant l’entrée principale du comptoir, surplombée et encadrée par de petites casemates, Bolitho s’arrêta et se retourna pour regarder son bateau. Herrick avait raison : le site du petit fort était bien choisi ; une poignée d’hommes armés de mousquets, même des gredins de cet acabit, pouvaient tenir la place à un contre vingt, à moins que l’adversaire ne disposât d’une véritable artillerie.

À l’intérieur, Bolitho s’arrêta net sous une potence et leva le nez : la corde était encore attachée, mais on l’avait tranchée d’un coup de couteau. Finney exhala un profond soupir :

— Que voulez-vous, commandant, nous ne savions pas qu’une dame viendrait dans un endroit pareil. Nous n’avions pas été prévenus, vous voyez !

Il avait l’air vraiment navré :

— Nous avons coupé la corde rapidement, mais trop tard : elle a eu le temps de voir le pauvre bougre.

Bolitho pressa le pas, plein de haine vis-à-vis de Raymond :

— Qu’avait-il fait ?

— M. Hardacre a dit qu’il fréquentait la fille d’un chef, de l’autre côté de l’île. Il interdit à quiconque d’y aller. Il dit que le chef est l’ami le plus important que nous ayons parmi toutes ces tribus.

Ils atteignirent l’ombre, à la porte d’entrée du bâtiment :

— Et il l’a fait pendre rien que pour cela ?

— Mais vous ne comprenez pas, commandant, dit Finney abasourdi, M. Hardacre est une sorte de roi ici.

— Je vois, répondit Bolitho.

Qu’est-ce que c’était encore que ce guêpier ?

— J’ai hâte de le rencontrer.

Un personnage, ce John Hardacre. De taille bien au-dessus de la moyenne, il était bâti en hercule, avec de larges épaules, un torse bombé et une voix impressionnante de puissance.

De plus, sa prestance en imposait ; il donnait l’impression d’un roi arrivé au pouvoir par la force de sa personnalité, comme l’avait décrit son lieutenant. Il avait des cheveux en bataille et une grande barbe pointue poivre et sel. Son regard perçant étincelait sous d’épais sourcils noirs de jais. Il portait une ample tunique mal nouée qui révélait de robustes mollets, aussi poilus que musclés ; ses larges pieds s’étalaient dans de simples sandales. Il se tenait debout, jambes solidement écartées.

Il examina Bolitho de la tête aux pieds :

— Commandant de frégate, hein ? Bien, bien, ainsi le gouverneur de Sa Majesté semble penser que nous avons besoin de protection, enfin !

Il eut une toux retentissante, on croyait entendre résonner une caverne :

— Vous allez prendre un verre avec nous.

Ce n’était pas une invitation, mais un ordre. Raymond, près d’une fenêtre ouverte, transpirait à grosses gouttes :

— Je ne pensais pas qu’il puisse faire aussi chaud !

D’un large sourire, Hardacre afficha, à l’affliction de Bolitho, une rangée de chicots brunâtres :

— Vous vous ramollissez en Angleterre ! s’esclaffa-t-il. Ici, c’est un pays d’hommes, tendre et juteux comme une vierge, hein ? Vous verrez…

Raymond restait de marbre.

Deux filles locales s’avancèrent sans bruit sur les nattes usées et disposèrent verres et cruchons sur une table rustique. Hardacre servit à la louche le liquide incolore. Probablement de l’eau-de-feu, pensa Bolitho, mais Hardacre avait bel et bien l’intention d’en boire.

— Eh bien, Messieurs, bienvenue aux îles Levu !

Bolitho agrippa le bras de son fauteuil, essayant de refouler les larmes qui lui venaient aux yeux. La louche de Hardacre repassa devant lui et remplit son verre à ras bord.

— Fameux, n’est-ce pas ?

Bolitho, un instant aphone, finit par répondre :

— Fort…

Raymond, à qui nul ne demandait rien, posa son verre et déclara tout à trac :

— J’ai pour mission de prendre possession de cette île, ainsi que de toutes celles qui l’entourent et qui n’ont pas encore été revendiquées par d’autres nations.

Il débitait à toute vitesse sa phrase apprise par cœur, de crainte que Hardacre n’explose avant la fin :

— J’ai également toutes les instructions vous concernant, de Londres.

— De Londres !

Hardacre le toisa un moment ; d’un mouvement de la main, il faisait tourner le liquide dans son verre :

— Et qu’est-ce que Londres pense que vous pouvez faire, dont je sois incapable, je vous prie ?

Raymond déglutit laborieusement :

— Plusieurs aspects ne sont pas satisfaisants et, de surcroît, vous n’avez pas à votre disposition les troupes nécessaires pour défendre la paix du roi.

— Absurde ! tonna Hardacre en se tournant vers la fenêtre ; je pourrais lever une armée, si je voulais. Tous ces hommes sont des guerriers, prêts à se faire tuer sur place si c’est moi qui le leur demande.

Bolitho lisait dans son jeu à livre ouvert : Hardacre essayait vainement de cacher son inquiétude, ainsi que sa fierté d’avoir bâti tout cela sans l’aide de personne.

Hardacre se retourna vers lui brusquement :

— Bolitho ! Mais oui, je me souviens, maintenant. Votre frère, pendant la guerre.

Il secoua la tête.

— Cette guerre a changé bien des destins, pour sûr.

Bolitho ne répondit pas. Il observait Hardacre plongé dans ses souvenirs. Il savait que Raymond n’attendait qu’une chose : le voir se troubler.

Le large visage barbu regarda la fenêtre :

— Oui, j’étais fermier à l’époque. Tout perdu parce que j’ai opté pour le roi quand il a fallu choisir son camp. Alors, je me suis installé ici. Mais cette fois-ci, ajouta-t-il amèrement, on dirait que c’est Sa Majesté elle-même qui veut ma ruine.

— Ridicule ! repartit Raymond avant de finir son verre. Ce n’est pas cela. On aura peut-être besoin de vous. D’abord, il faut que je…

Hardacre l’interrompit :

— D’abord, il faut que vous m’écoutiez !

Il écarta rageusement le paravent tressé et fit un geste vers les arbres sombres :

— Il me faut des administrateurs compétents pour me seconder, des hommes que je puisse former avant d’être trop vieux pour le faire. Des fonctionnaires qui débarquent de Sydney ou de Londres, je n’en ai pas besoin ! Et avec tout le respect que je vous dois, commandant, je n’ai pas besoin non plus des uniformes et de la discipline de la Marine.

Bolitho rétorqua calmement :

— Votre discipline semble singulièrement plus sévère que la nôtre.

— Ah, le pendu ? Les châtiments doivent être conformes à l’environnement. Par ici, c’est comme ça que l’on rend la justice.

— Pardon : c’est comme ça que vous rendez la justice, dit Bolitho sans hausser le ton.

Hardacre le fixa, puis sourit :

— Si vous voulez. Mais vous avez vu comment ça se passe dans les îles, commandant, poursuivit-il comme pour s’excuser. Les gens sont simples, naturels, très vulnérables à n’importe quelle vérole ou autre fléau apportés par les bateaux. S’ils veulent prospérer et survivre, ils doivent avant tout se protéger ; ils ne peuvent pas compter sur les autres.

— C’est impossible ! coupa Raymond, exaspéré ; n’oublions pas que l’Eurotas a été capturé avant d’être repris par le Tempest. Chaque jour nous apporte son lot de mauvaises nouvelles à propos de pirates, de forbans en maraude. Les Français eux-mêmes s’inquiètent au point de dépêcher une frégate…

— Le Narval… confirma Hardacre. Eh oui, monsieur Raymond, moi aussi, j’ai mes informations.

— Je vois. Mais à qui ferez-vous croire que vous allez traquer et réduire ces flibustiers avec une goélette de bornage et quelques sauvages peinturlurés ? lui lança Raymond, venimeux. Telle sera donc ma première tâche. Après, nous pourrons parler commerce. Demain, révéla-t-il triomphalement, je débarque les premiers bagnards ; mes hommes défricheront les alentours du comptoir pour construire des huttes. Vous comprenez ce qu’il vous reste à faire, monsieur Hardacre ?

Hardacre le regarda franchement :

— Pourquoi pas ? Mais parlons plutôt de votre femme : je présume que vous n’allez pas la retenir ici plus que nécessaire.

— Votre sollicitude me touche !

— Je vous saurais gré de m’épargner vos sarcasmes, et permettez-moi de vous dire que les femmes blanches, surtout de bonne naissance, ne sont pas aptes à la vie dans nos îles.

— Vos gens n’ont-ils pas de femmes ?

— Des filles indigènes, répondit Hardacre en regardant ailleurs.

Raymond toisa les deux jeunes filles qui se tenaient, discrètes, au bout de la table ; elles étaient à peine nubiles. Bolitho avait l’impression de voir travailler le cerveau de Raymond.

— Deux filles de bonne famille, dit sèchement Hardacre qui suivait son regard. Leur père est un chef. Un homme éminent.

— Humm.

Raymond tira une montre de son gousset. La sueur lui ruisselait sur le visage :

— Qu’on me conduise à mes appartements, j’ai besoin de réfléchir.

Plus tard, une fois seul avec Bolitho, Hardacre lui confia :

— Votre M. Raymond est un crétin. Il ne connaît rien à cet endroit et ne veut rien savoir.

— Dites-moi plutôt ce que vous avez appris de la frégate française, répondit Bolitho. Où l’avez-vous vue ?

— Ah, ah ! Ça vous tracasse, hein ? Ça vous démange la cervelle ? souligna lourdement Hardacre, ravi. Je suis renseigné par les négociants. Le troc et la confiance mutuelle, voilà mes meilleurs instruments de défense. Sûr que j’ai entendu parler du Narval et de son commandant fou ! De même que je connais de réputation le pirate Mathias Tuke. Il mouille souvent dans la région avec ses maudites goélettes. Jusqu’ici, il y a réfléchi à deux fois avant de piller le comptoir. Qu’il rôtisse en enfer !

Il regarda Bolitho :

— Mais avec votre frégate, vous serez vite repéré, mon ami. Vous avez besoin de praos rapides, de bonnes jambes et de guides pour vous conduire à ses cachettes, il en a plusieurs.

— Pourriez-vous les repérer pour moi ?

— Je ne pense pas, commandant. Jusqu’à présent, nous avons réussi à éviter la guerre ouverte.

Bolitho pensa à la façon magistrale dont la prise de l’Eurotas avait été organisée. Jamais la milice du lieutenant Finney n’aurait pu mettre un tel plan en échec, ni affronter l’impitoyable cruauté qui avait présidé à son exécution.

Hardacre devança ses objections :

— C’est moi qui ai pacifié ces îles. Avant mon arrivée, les chefs se faisaient la guerre à chaque génération ; on enlevait les femmes, on chassait les têtes, on se vautrait dans toutes sortes de coutumes barbares qui me font encore frémir quand j’y pense. Vous êtes un homme de mer. Vous savez ces choses-là. Je les ai contraints à négocier avec moi, je les ai forcés à me faire confiance. Modeste début. Après quoi je leur ai assuré une sécurité qu’ils n’avaient jamais connue. Celui qui s’avise de violer cette paix doit être puni aussitôt, sans rémission. C’est la seule solution. Et puis, ces gens, si j’abusais de leur confiance en vous les livrant, à vous ou aux canons du Français, leur univers primitif serait bouleversé ; ces îles connaîtraient de nouveau la loi du sang et la haine.

Bolitho revit les jeunes naïades radieuses, si libres, si simples. Elles lui faisaient songer à ces récifs à fleur d’eau dont l’ombre cache d’autres dangers.

— Vous savez certainement, continua Hardacre, rêveur, que le commandant du Narval s’intéresse davantage à la capture d’un prisonnier français qu’à la mort de Tuke. Je vois à votre expression, précisa – t-il, que vous êtes de mon avis. Vous devriez vous laisser pousser la barbe, commandant, pour cacher vos pensées !

— Que disiez-vous tout à l’heure au sujet des femmes blanches ?

Hardacre toussota :

— Cela non plus, vous ne pouviez le cacher. Vous avez un petit sentiment pour cette jeune femme, hein ?

Il leva la main :

— Ne dites rien, je ne m’occupe plus de ces choses. Mais si vous tenez à sa santé, un bon conseil : faites-la rapatrier…

Il sourit :

— … Dans le pays qui est le sien.

Sous la fenêtre, dans la cour, il y eut des éclats de voix et des pas précipités ; quelques instants plus tard, Herrick, tout essoufflé, faisait irruption dans la pièce, suivi du lieutenant Finney :

— Le canot de garde a trouvé un petit prao, commandant, dit-il sans même saluer Hardacre et son officier. Il y avait un jeune indigène à bord, qui souffrait d’une grave hémorragie. D’après le chirurgien, il a de la chance d’être encore en vie.

Il regarda Hardacre pour la première fois :

— Il semblerait, commandant, que Tuke ait attaqué l’île la plus au nord de l’archipel avec deux goélettes. Et qu’il s’en est emparé. Ce garçon a réussi à s’évader parce qu’il savait où était caché le prao. Tuke a brûlé toutes les autres embarcations pendant l’attaque.

Hardacre joignit les mains comme pour prier :

— Mon Dieu, leurs bateaux sont tout pour eux. Et vous êtes ?

Herrick le regarda froidement :

— Le second du Tempest, frégate de Sa Majesté britannique.

Bolitho s’adressa calmement à Hardacre :

— On dirait que vous avez besoin de nous, malgré tout.

— L’île du Nord est la plus difficile à défendre. Son chef est celui qui a le moins appris des erreurs passées, dit Hardacre qui réfléchissait tout haut. Mais je sais comment le rencontrer.

Il s’adressa à Finney :

— Embarquez les hommes sur la goélette. Je pars immédiatement.

Bolitho l’arrêta :

— Non, vous restez ici. C’est moi qui prends la goélette avec mes troupes et, avec votre permission, quelques-uns de vos hommes et de bons guides. En restant ici, ajouta-t-il, vous serez plus utile à vos insulaires.

Il se rendit compte que ses paroles avaient touché leur but. Hardacre acquiesça de la tête :

— A Raymond, vous voulez dire.

Il se renfrogna :

— Ne vous en faites pas, je comprends, même si vous ne pouvez en dire plus.

— Rappelez les hommes qui sont à terre, Thomas. On dirait que les nouvelles vont vite dans ces îles. Nous devons les précéder. Le vent est favorable. Il faut lever l’ancre et franchir le récif avant l’obscurité.

Herrick approuva sans réserve, heureux de retrouver le seul monde qu’il comprît et respectât :

— A vos ordres, commandant. Que Dame Chance soit avec nous !

Il sortit en hâte et appela ses hommes.

— Vous avez un second plein de ressources, commandant, reprit Hardacre d’un air sombre. Il me serait bien utile ici.

— Utile ? Thomas Herrick ?

Bolitho reprit son épée :

— Personne n’est encore arrivé à le faire obéir, pas même son commandant !

Il quitta la pièce, laissant le géant barbu et les deux jeunes filles interdits. Soudain, il s’arrêta, paralysé ; la voix de Viola :

— Richard !

Il se retourna pour la recevoir dans ses bras, comme elle finissait de dévaler l’étroit escalier de bois. La tiédeur de sa peau sous le tissu léger de sa robe… Elle était au désespoir :

— Vous partez ? Quand reviendrez-vous ?

Il l’enlaça tendrement, mettant de côté les multiples questions dont il était seul à connaître les réponses :

— Tuke est passé à l’attaque.

Il la sentit se raidir.

— J’en fais mon affaire.

Dans la cour, il entendit Finney aboyer des ordres aussi secs que le claquement des bottes et des fusils.

— Plus vite j’irai, plus vite vous pourrez quitter ces lieux.

Elle examinait son visage, le caressant de la main comme pour l’imprimer à jamais dans sa mémoire :

— Prenez bien garde à vous, Richard. Prenez tout votre temps. Faites cela pour moi. Pour nous.

Il la raccompagna à l’ombre, puis revint au-dehors, dans la chaleur impitoyable. Raymond était déjà dans la cour. Il avait dû quitter sa chambre à la hâte pour s’informer des événements.

— Vous vous disposiez à me mettre au courant, commandant ? demanda-t-il sèchement.

Bolitho le regarda d’un air grave :

— Oui…

Il fit l’effort de le saluer dans les formes :

— Permettez-vous, à présent, Monsieur, que je regagne mon bord ?

Il se retourna. Le mouvement de la robe dans l’escalier qui surplombait la cour ; elle le regardait partir.

Allday tenait l’équipage et la guigue à sa disposition. Bolitho prit place dans le bateau et essaya de rassembler ses idées, tout en suivant le mouvement des avirons. Tuke, de Barras, Raymond : un seul et même ennemi, un même obstacle entre Viola et lui.

Borlase l’accueillit à la coupée :

— J’ai repris mon service, commandant.

— Je vois.

Bolitho observa les visages autour de lui, les indigènes, puis les marins et les fusiliers qu’il connaissait mieux.

— Faites évacuer le navire, monsieur Borlase. Avertissez-moi dès que vous serez prêt à appareiller.

L’officier était stupéfait.

— Allez ! Ne perdons pas de temps, exécution !

Herrick arriva en courant :

— Désolé, commandant, je n’étais pas là pour vous accueillir. Votre guigue a fait force de voiles !

Bolitho acquiesça distraitement :

— A vous le commandement de la goélette, Thomas. Prenez l’équipage indigène et la milice de Hardacre, ainsi que Prideaux et vingt fusiliers.

Il lui donna une tape sur l’épaule :

— De l’action, Thomas ! Une façon comme une autre de commencer l’année, non ?

Herrick le regarda comme s’il avait perdu la tête. Puis, il acquiesça :

— Bien sûr, commandant. Demain est le premier jour de 1790. J’ai beau remplir le journal de bord chaque jour, je l’avais complètement oublié.

Il s’avança vers l’échelle de coupée et appela le maître d’équipage.

À l’arrière, près de la lisse de couronnement, Bolitho s’arrêta pour remettre de l’ordre dans ses idées. Une nouvelle année. Il l’avait espérée différente. Dans ce beau pays, près de ce calme rivage, il lui était plus difficile d’accepter la présence inaccessible de Viola. Il poussa un profond soupir. Et demain, compte tenu des circonstances, ils auraient peut-être à se battre, à risquer leur vie une fois de plus.

Il regarda les canots qui, venus de différentes directions, se dirigeaient vers le navire. L’équipe du charpentier et le commissaire, le chirurgien qui s’était probablement rendu à terre afin d’étudier la flore locale.

Certains de ces hommes aspiraient sans doute à d’autres distractions ; la plupart s’étaient attendus à passer quelques jours, et surtout quelques nuits, à terre. Il mit sa main en visière et regarda en tête de mât le guidon qui claquait gaillardement. Il s’avança vers la passerelle.

En tant que commandant d’un navire de guerre, il lui fallait se faire respecter. Quant à être aimé, et à le rester, c’était une autre paire de manches.

 

Bolitho faisait délibérément les cents pas du côté au vent de la dunette, récapitulant ses plans à peine ébauchés tandis que les îles défilaient lentement par le travers de la frégate. Au couchant, collines et rochers prenaient des reflets cuivrés. Plus loin sous le vent, il distinguait la petite goélette de Hardacre. À l’arrière-plan, un lourd rideau sombre annonçait la tombée de la nuit.

De l’autre côté de la dunette, ses officiers devisaient tranquillement en contemplant le paysage et échangeaient leurs points de vue sur les récents événements. Etrange : on ne voyait pas Herrick, et sa voix familière ne résonnait nulle part sur les ponts curieusement calmes. En un sens, il valait mieux qu’il fût occupé ailleurs, cela laissait à Bolitho le loisir de prendre du recul et de mieux s’abîmer dans ses réflexions.

Il entendait à peine Lakey qui pérorait à voix basse avec deux compagnons ; il leur confiait sûrement ses premiers doutes et inquiétudes. Tout autour d’eux s’éparpillaient les îles et les hauts-fonds de l’archipel des Levu. Ils étaient plus ou moins bien relevés sur la carte, parfois totalement absents. Les profondeurs et les distances étaient approximatives, souvent portées au juger.

Mais l’équipage de la goélette les connaissait bien, et Herrick gardait une large marge de sécurité, compte tenu de la différence de tirant d’eau avec celui de la frégate. L’île du Nord était toute petite, escarpée, entaillée au nord-ouest par un profond bras de mer qui semblait ouvert d’un gigantesque coup de hache. Toute la population se rassemblait dans un seul village et, comme Hardacre l’avait expliqué, se nourrissait essentiellement des produits de la mer. Peut-être Tuke s’y était-il rendu pour y établir une nouvelle base ; ou était-ce seulement pour son avitaillement en eau et en vivres ? Il devait donc posséder au moins deux goélettes. Sur ce point-là également, Viola avait raison.

Bolitho fit demi-tour ; une fois de plus, il songeait à Raymond : qu’est-ce que cet homme était vraiment en droit d’espérer ? Il resterait probablement dans ces îles jusqu’à l’arrivée de son personnel, la cohorte habituelle de secrétaires et d’administrateurs qui ne manquait jamais de s’installer dans le sillage des pionniers. La plupart de ses gens avaient été tués par Tuke, ou laissés à Sydney pour y être soignés ; pour mettre de l’ordre dans les affaires de ceux qui avaient été massacrés ou capturés, aussi : il y avait là un service inestimable à rendre à leurs amis ou aux membres de leurs familles.

Était-ce Raymond qui avait eu de la chance, ou bien Tuke était-il plus rusé qu’il n’y paraissait ? Choisir Raymond comme otage, savoir qu’il se trouvait à bord avant même l’attaque, cela dénotait un machiavélisme qui dépassait l’intelligence des pirates ordinaires. Borlase traversa le pont :

— Permission de diminuer la voilure, commandant ? C’est la fin du quart.

Il attendait, ignorant quelle était l’humeur de Bolitho :

— Vous en aviez donné l’ordre, commandant.

— Oui, dit Bolitho. Je vous en prie, faites.

Il n’était vraiment pas nécessaire de naviguer en rasant les îles en pleine nuit. Il crut entendre le soupir de soulagement de Lakey ; déjà le second maître sifflait l’ordre de serrer quelques voiles.

L’attaque avait dû être rapide et efficacement menée. Il regagna l’arrière pour ne pas gêner les matelots et les marins qui s’affairaient à la manœuvre. Le Tempest devrait couvrir et, s’il y avait lieu, embouquer le bras de mer pendant que l’équipage de la goélette débarquerait et prendrait le village à revers. Tuke devait encore se sentir à l’abri. Il ne pouvait se douter qu’un jeune garçon s’était évadé et avait eu le courage de rallier l’île principale, seul à bord d’un prao, pour donner l’alerte.

Bien au-dessus du pont, il entendait les gabiers qui s’interpellaient, presque couchés sur les vergues pour étouffer à pleins bras les voiles carguées. Deux d’entre eux n’étaient pas remontés à bord après leur descente à terre. Bolitho avait ordonné à Borlase de ne pas les porter déserteurs sur le rôle d’équipage, car il n’existait qu’une punition pour ce crime. Il avait entendu dire que le camp de Hardacre devait donner une heiva en l’honneur des navires et de leurs équipages : on allait festoyer et danser tout son soûl, à grand renfort de ce fameux breuvage qui lui avait coupé le souffle et brûlé la gorge. Deux déserteurs seulement, deux hommes sur tout un équipage, ce n’était pas trop grave, compte tenu des tentations qui régnaient ici. Si les hommes revenaient de leur propre chef, il reconsidérerait la question. Sinon, ils finiraient probablement comme volontaires malgré eux dans la milice de Hardacre, lorsque la frégate aurait définitivement levé l’ancre.

Il repensa à Hardacre. Il ne pouvait se défendre d’une immense admiration pour cet homme hors du commun. Ses bonnes intentions initiales avaient un peu souffert de l’exercice du pouvoir, mais ses sentiments vis-à-vis des indigènes et de leurs îles étaient profondément sincères. Face à Raymond, il n’avait aucune chance. Les idéalistes sont toujours perdants quand ils affrontent ce genre d’hommes.

Il s’approcha de la barre, examina le compas. Nord-ouest. Il s’adressa au timonier :

— Bien comme ça !

— A vos ordres, commandant.

Les yeux du marin brillaient d’une lueur sombre sous les derniers rayons du soleil.

Bolitho entendit Borlase crier ses ordres de sa voix de fausset. En qualité de second par intérim, il ne laisserait rien passer ; après son expérience précédente et son passage en cour martiale, il n’oserait pas.

Il décida de prendre quelques heures de sommeil s’il le pouvait. Il jeta un dernier regard à son bateau en essayant de percevoir le souffle du vent. Il écouta les bruits familiers des voiles et du gouvernail : ils faisaient tellement partie de sa vie qu’il devait prêter l’oreille pour les entendre.

Allday se trouvait dans la cabine. Il regardait Noddall emplir un broc d’eau douce et le disposer à côté de deux biscuits de mer.

Bolitho le remercia et laissa son patron d’embarcation lui enlever tunique et bicorne, les attributs de son commandement. Il regarda le plateau sur la table. De l’eau et des biscuits de mer. À peu de chose près la ration des détenus des pontons de la marine, pensa-t-il. Allday s’inquiéta :

— Dois-je préparer la couchette, commandant ?

— Non, je me reposerai ici.

Bolitho s’allongea sur la banquette d’étambot et croisa ses mains sous sa tête. Les premières étoiles dansaient à travers les fenêtres, déformées par les vitres épaisses. Leurs reflets faisaient songer à de petites lances. Viola. Il l’imagina allongée sur son nouveau lit, écoutant les grognements et les grincements de la forêt ; sa servante devait être auprès d’elle ; elle veillerait sur sa maîtresse à sa façon calme et secrète.

Sa tête roula de côté et il s’endormit profondément. Allday lui enleva ses chaussures et décrocha la lanterne du barrot.

— Dormez bien, commandant.

Il hocha tristement la tête :

— Vraiment, vous vous faites beaucoup trop de soucis pour nous tous !

 

Mutinerie à bord
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